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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/196

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L’ÉTAPE

représentait une émotion trop pénible. Deux larmes lui jaillirent des yeux. Elles roulèrent sur ses joues amaigries et vieillies par tant de labeur honnête. Ces pleurs de son père, le fils ne les avait jamais vus couler qu’à propos d’événements qui touchaient à de naïves convictions politiques, une fois d’abord, quand il avait onze ans à peine, et que, de Versailles, le professeur l’avait conduit aux funérailles de Victor Hugo ; une autre fois, lors des scandales du Panama, quand Barantin avait été accusé d’avoir prévariqué de son mandat. Dans les deux cas, c’était l’idéologue qui avait pleuré, au lieu que ces larmes d’à présent, versées par le père de famille sur le déshonneur possible d’un de ses fils, lui sortaient de la chair et du sang, et Jean disait, alors que ce nom de Montboron ne lui permettait plus un moment d’hésitation :

— « Mais il n’y a rien là-dedans, mon père, qui accuse Antoine, absolument rien. Que M. La Croix ait oublié son carnet sur sa table et que le premier venu, un domestique, par exemple, ait volé ce chèque ; il l’aura rempli ensuite et, pour ne pas le toucher lui-même, il se sera fait ouvrir un compte au Crédit départemental, sous le nom de Montboron. Tout s’explique ainsi… »

— « Ç’a été la première idée de M. Berthier, » reprit Joseph Monneron. « Il a même prié M. La Croix de faire au préalable une petite enquête parmi ses gens. C’est une mauvaise affaire pour lui, tu comprends, qu’une erreur pareille commise à son bureau : cinq mille francs payés sur une