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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/201

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LE CHEMIN DU CRIME

quand il sait les souvenirs qui s’attachent pour nous à ce charmant endroit ?… Rien que cela, c’est la preuve qu’il est innocent. Voyons, tu le sens aussi bien que moi… Et puis, pourquoi l’aurait-il pris, cet argent, du moment qu’il l’a restitué ? Pour jouer ? C’est la supposition de M. Berthier. Je l’admets. Jouer ? Mais où ? Au café ? Quand j’étais à l’École, j’ai connu aussi des camarades qui avaient la manie du jeu. Quand ils perdaient leurs trente ou quarante francs dans la soirée, c’était tout le bout du monde, et il s’agit ici de sommes énormes, de douze cents, de trois mille, de cinq mille francs, des traitements d’agrégés !… Et puis, jouer, dans ces conditions, c’est la perspective, si l’on perd, de ne pouvoir remettre l’argent du compte, et alors c’est l’escroquerie, avec l’arrestation certaine. Et Antoine aurait eu cette bêtise, lui qui est si intelligent, si pratique ?… Voyons, on ne se conduit pas comme un fou, et ce serait d’un fou d’avoir employé ce procédé pour se procurer de l’argent dont, encore une fois, il n’a pas besoin… Toutes les apparences sont contre lui, j’en conviens, mais je n’y crois pas. Je ne veux pas y croire… J’étais si fier de ma nombreuse famille ! Pourtant s’il m’était démontré que mon fils, mon aîné, a commis une pareille action, je serais le premier à demander qu’on le juge, qu’on le condamne, d’après toute la rigueur des lois. Mais, au nom de ma longue vie de probité, j’ai bien le droit de réclamer d’autres preuves que des apparences, si acca-