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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/200

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L’ÉTAPE

— « Mon père !» répondit le jeune homme, d’une voix à laquelle le souffle manquait. « Mon pauvre père !… » Un inexprimable mélange de pitié et de vénération remplissait son cœur, et en même temps la terreur de la certitude absolue, irréfutable, l’avait pris à la gorge. Il n’y avait pas jour pour le plus petit doute. Les circonstances concordaient les unes avec les autres d’une façon si serrée que le jeune homme ne trouvait plus en lui de quoi s’associer à la révolte acharnée du père contre l’évidence, et il l’écoutait qui, pensant tout haut, implorait une complicité dans son effort pour ne pas accepter un fait trop cruel, lui, l’illusionniste, ennemi des faits :

— « Sur le moment, ma douleur a été trop grande. Je n’ai pu que remercier M. Berthier. Il m’a promis de ne laisser déposer et de ne déposer lui-même aucune plainte avant vingt-quatre heures, et moi, je lui ai promis d’interroger Antoine. Ah ! c’est un homme excellent. Tu vois que j’ai raison quand je dis qu’il y a des braves gens, beaucoup de braves gens partout, même dans la finance. Les coquins sont l’exception. Ce qui les rend tels, c’est l’éducation et c’est l’entourage. Voilà pourquoi Antoine ne peut pas être un coquin. Il ne le peut pas… Il y a là une fatalité que je ne comprends point. Mais d’abord, toi qui le connais, qui le vois tous les jours, si affectueux avec sa mère, avec son petit frère, avec nous tous, tu admettrais qu’il serait allé choisir, pour commettre un vol et un faux, ce nom de Montboron,