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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/207

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LE CHEMIN DU CRIME

de chèques tenu au bureau et le livret de M. La Croix que lui-même, Antoine, avait été chargé de mettre au courant. À mesure que le professeur parlait, la force de l’évidence s’imposait à lui, malgré tout. La fièvre du doute, suspendue un moment par l’attitude résolue du coupable, lui brûlait de nouveau le cœur. Le même accent douloureux, — plus douloureux encore, — qu’il avait eu pour raconter à Jean l’horrible révélation, frémissait dans sa voix, et ce fut sur un cri déchirant qu’il acheva cet acte d’accusation, dressé par un autre, dont il venait de se faire la rapporteur, sans vouloir y croire :

— « Tu sais l’affreux soupçon qui pèse sur toi, maintenant. Ah ! prouve-moi que tu n’as pas fait cela, mon enfant, prouve-le-moi… »

— « Rien de plus facile, » répondit Antoine, qui s’était, durant ce discours, comme ramassé en lui-même. Pas un muscle de son visage n’avait tressailli. Pour la première fois, Jean, qui le regardait écouter son père, mesura le ravage déjà fait, dans cette âme gâtée, par le venin de la luxure et celui de la vanité. La simple et touchante souffrance de ce père qui lui montrait une si aveugle tendresse n’éveillait pas un écho chez le faussaire. Il n’avait de pensée, — Jean lisait cela distinctement dans l’arrière-fond de ses prunelles si froidement réfléchies à cette seconde, — que pour le danger où il se trouvait pris. Il venait d’imaginer un moyen de gagner du temps, avec cette rapidité de conception propre au tempéra-