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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/211

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LE CHEMIN DU CRIME

sisté, sans protester, comme un complice, à cette abominable dérision du plus tendre cœur et du plus généreux. La crédulité du professeur était celle du juste qui, n’ayant jamais trompé, se trouve désarmé contre certains mensonges. On n’en sourit pas quand cette crédulité s’appuie sur un demi-siècle d’honneur, quand cette confiance est le terme dernier d’une carrière qui, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse commençante, n’a jamais soupçonné le mal, parce qu’elle ne l’a jamais ni fait ni pensé. Que Joseph Monneron eût du premier coup accepté l’explication de son fils, et avec ce frémissement passionné, c’était un signe, après tant d’autres, de cette absolue bonne foi qui lui avait fait admettre comme vraies toutes les idées de son époque et de sa classe, très chimériquement, mais d’une manière très désintéressée. Et que son fils aîné, qui le savait si ingénu mais si noble, n’eût pas éprouvé un sursaut de honte ; qu’à cet appel : « Viens m’embrasser, » il n’eût pas répondu par un aveu de sa faute, c’était, dans l’ordre du sentiment, un crime pire que le faux et que le vol. Aussi toute l’indignation d’un croyant contre un sacrilège perçait-elle dans la voix de Jean, tandis qu’il continuait : « C’est une infamie !… tu m’entends, une infamie !… N’essaie pas de nier avec moi. C’est toi qui as fabriqué les trois chèques, toi qui as rendu l’argent, les deux fois, pour que l’éveil ne fût pas donné ; toi, oui, toi tout seul qui as falsifié le livret ! Je te le répète, ne me pas… Veux-tu des preuves ?