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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/221

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LE CHEMIN DU CRIME

et soupçonnant la tricherie. La chance avait été incertaine. Il avait gagné, puis perdu, perdu, puis gagné, jamais assez pour restituer intégralement la somme empruntée. Bref, au moment du retour imprévu de M. La Croix, il ne lui restait plus que sept cents francs environ sur les cinq mille. Il ne s’en était pas inquiété outre mesure. L’habitude au Grand Comptoir était d’arrêter les comptes courants tous les 31 décembre, sauf demande personnelle du client. Antoine Monneron avait donc calculé que M. La Croix, selon toute vraisemblance, ne s’inquiéterait pas du chiffre de son dépôt avant cette date. Le faussaire avait deux mois pour faire rendre à ces sept cents francs quelques mille autres. Sur quoi, il avait continué sa vie en partie double : petit employé de banque tout le jour, et jeune noble de province en fête à Paris le soir ; — fils laborieux d’un modeste professeur, rue Claude-Bernard, et, rue de Longchamp, où habitait Angèle d’Azay, amant préféré d’une fille élégante. Il avait dû, pour dissimuler à cette créature l’emploi réel de ses journées, où il n’avait de libre qu’une heure, de temps à autre, déployer des ruses d’Apache. Il avait été aidé par la commodité que l’indépendance des après-midi représente pour les femmes de la haute galanterie, toujours plus ou moins liées avec quelque entremetteuse. De ces coulisses du grand luxe de sa maîtresse, il ne se doutait pas. Mais il y a, dans le mystère et le danger, de si puissantes excitations pour la sensualité, que sa fantaisie pour cette maî-