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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/222

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L’ÉTAPE

tresse, faite d’abord de vanité, avait pris, depuis ses vols et ses faux, une âcreté de passion. C’était au point qu’il avait déjà médité, toute la semaine, d’essayer, sur un autre dépôt, la même opération qui lui avait réussi jusqu’alors sur le dépôt La Croix, et voici que la découverte de M. Berthier le frappait dans cette sécurité si précaire, mais où il s’exaltait d’espérance, comme un coup de foudre. Tout s’écroulait autour de lui. Quoique, à l’instant même, il eût affecté d’en sourire, la phrase menaçante qu’avait prononcée son frère sur les conséquences judiciaires de ses actes l’avait glacé jusque dans la moelle de ses os. Il s’en rendait bien compte : même s’il trouvait le moyen de rendre les cinq mille francs qui manquaient au crédit de M. La Croix, il restait à la merci du bon vouloir de M. Berthier. S’il ne les rendait pas, l’affaire était claire : c’était la cour d’assises et les travaux forcés.

— « Sept cents francs, » finit-il par dire à haute voix, et il répéta : « sept cents francs… Il faut en trouver quatre mille trois cents autres, et d’ici à demain matin. Mais où ? Mais où ?… »

Une première voie de salut s’offrit aussitôt à sa pensée. On l’a remarqué déjà, et c’est même le trait de sa nature qui lui avait, sans frein religieux et sans appui de milieu, rendu Paris très redoutable, Antoine avait une sensibilité profondément, violemment plébéienne, autant dire un animalisme vulgaire, mais vigoureux, de ses facultés. Son imagination était toute positive