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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/227

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LE CHEMIN DU CRIME

titude maladive de Jean, un résultat logique. Le déracinement et l’absence de maturation, vices d’origine de cette famille, l’avaient produit, ainsi que le reste. N’ayant pu s’attacher vraiment à aucun lieu, se façonner à aucune coutume, dans les provinces disparates que l’existence nomade du fonctionnaire avait traversées, le fils aux brutaux appétits ne s’était pas senti davantage partie intégrante d’un groupe compact, dans ses relations avec les siens. Son père lui était apparu trop vite comme un homme à côté. L’instinct positif qui était en lui, et qu’il tenait surtout du grand-père Granier, le rentier interlope de Nice, mi-courtier, mi-contrebandier, l’avait vite éclairé sur l’incapacité pratique de l’universitaire, surtout depuis l’arrivée à Paris. Le jeune homme avait découvert cette ville tout seul, sans y être initié par les siens. On sait déjà en quoi avait consisté cette découverte. Elle s’était accompagnée d’un détachement de plus en plus marqué, vis-à-vis de son père et de sa mère, qui lui donnaient l’impression de deux infirmes sociaux, tant il les voyait désorientés dans ce milieu, parmi des relations incohérentes, tandis que lui-même s’adaptait au Paris du plaisir, avec une effrayante facilité, par ses côtés les plus bas, et avec cette fougue presque ingouvernable, naturelle au sang paysan. Le paysan n’est pas habitué à se modérer. Il est dressé à se priver. Les deux termes ne sont pas synonymes. Il peut être avare, il est rarement économe. Sa sensibilité n’est pas dirigée et distribuée. Elle est