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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/226

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L’ÉTAPE

même… L’amant de cœur se figura soudain cette scène de confession humiliante avec une netteté qui lui en fit trop sentir l’amertume, et son orgueil se révolta là contre.

— « Non, non,… » se dit-il de nouveau. Sa réaction intérieure fut si violente qu’il se leva, et il commença de marcher dans sa chambre de long en large, à la façon d’une bête encagée, qui cherche une issue. « Non. Pas cela. Du moins, pas avant d’avoir frappé ailleurs. Mais où ?… »

Mais où ?… Il avait beau la tourner et la retourner, la cruelle question, aucune réponse n’en sortait qui lui montrât l’issue possible. Vingt projets défilèrent successivement devant son esprit : aller chez M. La Croix, tout lui confesser et obtenir qu’il ne portât pas plainte ? — Et si celui-ci le faisait arrêter sur le coup ?… Supplier M. Berthier de lui accorder un crédit de vingt-quatre heures ? — Et dans vingt-quatre heures, serait-il plus avancé ?… Aller au tripot, dès cette nuit, avec ses sept cents francs ? — On le dévaliserait… Porter, dès la première heure, ses petits bijoux de jeune homme au Mont-de-piété et ceux de sa mère avec ? — Le tout ensemble ne vaudrait jamais cinq mille francs !… À travers ces allées et venues de ses idées, il n’était occupé que de lui-même. Nul remords ne se mélangeait à cette sèche et dure anxiété. Il avait oublié le spectacle de douleur que lui avait donné son père, et il ne pensait pas davantage au chagrin qu’éprouverait cette mère. Cet égoïsme féroce était, comme l’irréalisme de Joseph Mouneron, comme l’incer-