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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/234

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L’ÉTAPE

celle qu’il aurait tant voulu lui suggérer, sans être obligé de la formuler avec des mots ? Non moins visiblement, quelle que fût cette idée, elle infligeait à Julie un sursaut d’horreur, car la jeune fille avait frissonné de ses minces épaules, secoué sa tête à plusieurs reprises, et, comme malgré elle, répondu à ses propres pensées un : « Non, c’est impossible !… » soupiré plutôt que prononcé, et qu’Antoine devina lui aussi plutôt qu’il ne l’entendit. Était-ce bien l’image de Rumesnil qui était venue s’offrir soudain à elle ? Était-ce à la possibilité de lui demander un secours d’argent pour son frère qu’elle disait ce non, avec ce frémissement de révolte ? La circonstance était trop pressante, les instants trop strictement comptés, pour qu’Antoine laissât dans le doute un point duquel dépendait sa meilleure chance de salut. Soit dit non pas pour l’excuser d’une demande qui enveloppait, en toute hypothèse, une affreuse grossièreté, mais pour en expliquer la vraie portée à ses yeux : il n’avait jamais su exactement les rapports de sa sœur avec son ancien camarade de Louis-le-Grand. Que les deux jeunes gens fussent en coquetterie, vingt indices le lui avaient révélé. Jusqu’où Julie avait-elle poussé cette coquetterie ? Il l’ignorait. Il croyait qu’elle voulait se faire épouser, et il l’approuvait de cette ambition. Il ne s’en était pas caché dans son entretien avec Jean après la scène du déjeuner, mais on se souvient qu’il avait ajouté : « Elle a de la défense, notre petite sœur ! » Cette métaphore de maquignon