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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/235

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

signifiait, dans la bouche de l’habitué des champs de courses, que la jeune fille avait dû accorder à Rumesnil juste assez pour porter son désir à son comble, pas assez pour l’assouvir. Est-il besoin d’ajouter qu’il ne l’approuvait pas moins de cet honnête aguichage ? Qu’elle pût être assez passionnée, assez sincère, assez faible simplement, — il eût dit dans son langage : assez gaffeuse, — pour être la maîtresse de celui dont elle voulait faire un mari, ce soupçon ne lui était pas encore venu sérieusement, quoique sa précoce expérience l’eût déjà fort déniaisé. La fréquentation intime d’une Mme d’Azay ouvre beaucoup de cases dans le cerveau d’un garçon de vingt-cinq ans, surtout lorsqu’il est un demi-Méridional. Antoine se rendait déjà compte que les relations d’un homme avec une femme, quand celle-ci est jolie et celui-là entreprenant, ne sont jamais bien définies, que la volonté féminine demeure toujours à la merci d’une surprise, comme la volonté masculine est toujours à la veille d’une brutalité. Il y a un domaine obscur et profond des sens où les résolutions les plus fermes s’amollissent et se fondent. La familiarité physique y aboutit si vite ! C’était la simple et tragique histoire de Julie : elle avait été d’abord naïvement flattée d’être remarquée par Rumesnil. Ce premier petit sentiment de vanité l’avait conduite à être un peu coquette avec le jeune noble. La coquetterie l’avait amenée à un rien de légèreté. Où eût-elle trouvé un appui contre cet entraine-