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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/237

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

gratuitement à la jeune fille ne s’était formé que peu à peu. Voyant Rumesnil si empressé auprès d’elle, sachant l’amitié qui l’unissait à Jean, persuadée de la sincérité de ses opinions généreuses, comment n’eût-elle pas laissé naître et grandir en elle l’espérance d’un mariage, qu’elle n’aurait pas cherché, s’il ne s’était, pour ainsi dire, offert à elle ? Encore ici le vice d’origine de la famille avait fait son œuvre d’empoisonnement social : la fille du fonctionnaire, romanesque et tentée par l’émotion, pauvre et tentée par la fortune, plébéienne et tentée enfantinement par le prestige d’un amoureux aristocratique, avait, elle aussi, dans cette aventure, été la victime d’une sensibilité en désaccord avec son milieu. Son intrigue avec Rumesnil n’était qu’une forme de sa secrète révolte contre le sort. Les ordinaires épisodes s’étaient succédé, de la correspondance aux rendez-vous, des rendez-vous aux baisers, des promenades dans les coins déserts aux promenades en fiacre. Enfin, d’imprudence en imprudence, la malheureuse avait fini par se laisser entraîner, troublée, énervée, à moitié vaincue, dans le petit appartement meublé, banal et sinistre théâtre des chutes de cet ordre. Il y avait trois mois et demi que Rumesnil était son amant, sans qu’un seul des mots prononcés entre eux depuis lors put autoriser Julie à même supposer qu’il pensât à l’épouser, et, découverte qui la bouleversait d’une épouvante continue, il y avait six semaines qu’elle se savait enceinte. C’était à cette plaie, ouverte