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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/238

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L’ÉTAPE

dans ce cœur de jeune fille et si envenimée déjà, qu’Antoine se préparait à toucher, avec une brutalité inconsciente qui allait la faire crier de douleur et lui apprendre, à lui, ce qu’il ignorait.

— « Tu aurais voulu que je dise la vérité à mon père ? « reprit-il… » Jamais ! Tu as vu toi-même dans quel état l’avait mis un simple soupçon. À tout prix, il faut qu’il ignore toujours tout. Il me chasserait. Il ne comprendrait pas. Tu sais comme il est intransigeant quand il s’agit des principes… Et puis, où les trouverait-il, ces cinq mille francs ? Il n’en a jamais eu deux cents devant lui. Et supposons qu’il trouve à les emprunter, à Barantin, par exemple. Pour ce que ça lui coûte, l’argent, à ce panamiste !… Papa voudrait les rendre. Je le verrais donner des répétitions, de nouvelles répétitions, lui qui s’en écrase déjà, et pour moi ! Non. Il ne doit rien savoir. J’aimerais mieux disparaître… » Il épiait du coin de l’œil l’effet de sa magnanimité filiale. Voyant sa sœur émue, il jugea l’instant favorable et il osa continuer : « Non, Julie, ce n’est pas le père qui peut me sauver, c’est toi… »

— « Moi ?… » demanda-t-elle, avec une surprise où ne se mêlait encore aucun soupçon.

— « Oui, toi… » répéta-t-il. « Remarque bien qu’il ne s’agit que d’un emprunt. Cet emprunt, il dépend de toi de me le faciliter. J’obtiendrai vingt-quatre heures de M. Berthier, si je lui promets que les cinq mille francs seront payés certainement… Il y a trop d’intérêt… Un mot de toi à Rumesnil (le coup était porté), en lui disant que c’est pour