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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/249

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

d’un œil distrait son journal favori, qu’il ne commentait pas de ses phrases habituelles, par exemple sur la nécessité d’arracher l’éducation de la jeunesse au clergé. — Elles eussent été en situation, entre Julie, Antoine et Gaspard ! — Mme Monneron avait ce trait commun à toutes les personnes foncièrement despotiques : elle n’étudiait les autres que dans les moments où elle avait besoin d’eux, et pour s’en servir. Elle ne prenait pas plus garde à son mari, en ce moment, qu’à sa fille, qui était venue s’asseoir à la table du déjeuner toute défaite aussi, et qu’à son fils Jean, dont les yeux, tour à tour fixés sur son père et sur son frère, trahissaient l’irritation profonde. Elle portait une « matinée » de cachemire vieux-rose, avec un jabot de dentelles noires et de volants assortis à la jupe de même étoffe. Ce costume trop chargé, acheté à une vente de « soldes », donnait un air falot à son visage bouffi qu’encadraient des rangées serrées de papillotes, préparation de la coiffure compliquée de l’après-midi. La pointe traditionnelle des Provençales protégeait son chignon teint. Sa toilette avait consisté dans un débarbouillage hâtif, complété par une application de poudre de riz, faite si vite qu’un nuage était tombé de la houppette sur l’étoffe du corsage, couvert de traînées blanches. Elle mangeait, les coudes posés sur la table et tenant son bol d’une main à la portée de sa bouche, sa cuillère de l’autre. Elle n’était préoccupée que d’un catalogue illustré qu’elle avait devant ses yeux et qui donnait le détail de l’exposition de saison d’un