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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/252

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L’ÉTAPE

installa et donna au cocher une adresse que Julie n’entendit pas, mais elle vit la voiture tourner, remonter et s’engager dans la rue Gay-Lussac. Or, le bureau C du Grand Comptoir était établi près de la Halle aux Vins, dans la portion du boulevard Saint-Germain qui touche à la rue de Poissy. C’était la direction opposée. Où allait donc Antoine ? « Il va rue de Varenne, » se répondit-elle. À la pensée qu’avant un quart d’heure, il sonnerait peut-être à la porte de l’hôtel où habitaient les Rumesnil, — cette grande porte cochère en niche qu’elle connaissait si bien pour avoir tant rêvé, enfantinement, qu’un jour elle en franchirait le seuil dans son coupé de comtesse ! — son sang se glaça dans ses veines. Elle dut s’asseoir, tant la secousse de cette émotion avait été forte. Puis, tout de suite, elle se dit : « Comment empêcher cela ? Que faire ?…» Courir elle-même rue de Varenne, et arriver avant son frère ? Quand le respect de sa propre dignité ne le lui eût pas interdit, elle n’avait pas le temps matériel. Elle n’était même pas habillée !… Envoyer un mot à Rumesnil, lui enjoignant de ne pas rendre à son frère le service que celui-ci lui demanderait ? Par qui l’expédier ?… En proie à cette fièvre d’angoisse imaginative, elle avait un besoin physique d’agir, et vite… Mais comment ? comment ?… C’est alors que cette autre série d’idées s’empara d’elle : « Je ne suis pas absolument certaine qu’Antoine est chez Rumesnil. Il peut tout de même avoir hésité et cherché par ailleurs… S’il y va, Rumesnil