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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/257

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

— « Je viens te parler d’Antoine, » commença-t-elle, « te supplier d’avoir pitié de lui, pitié de notre père. Tu sais tout. Il me l’a dit, et aussi que tu avais été bien sévère pour lui… Je ne t’en blâme pas. Moi-même, quand il m’a avoué ses faux, il m’a fait horreur… » Toute l’amertume que lui avait laissée au cœur la terrible scène de la nuit s’épanchait dans ces mots qu’elle répéta avec passion : « Oui, horreur. Mais c’est ton frère et c’est mon frère. C’est le fils de notre père. Il faut le sauver. Nous le devons… »

— « On ne sauve pas un être descendu à un certain degré de bassesse, » répondit Jean. Persuadé que le point de la restitution matérielle était réglé, il interprétait la phrase de sa sœur dans un sens uniquement moral. « Je comprends pourquoi il t’a parlé… » continua-t-il. « Il a senti qu’il était tout de même allé trop loin avec moi. Il a pensé que je te dénoncerais son infamie. Il me connaît bien ! Il a pris les devants, et il t’a joué la comédie du repentir pour que tu essaies de me faire revenir. Jamais ! Je lui ai lu trop avant dans le cœur… Le malheureux ! Sa seule excuse est qu’il ne réalise même pas ce qu’il a fait. Ces faux ne sont pas des faux pour lui, ce sont des légèretés, des virements, des emprunts d’argent un peu incorrects, et il se tient quitte vis-à-vis de sa conscience parce que sa malpropre opération de Bourse a réussi et qu’il a gagné de quoi restituer ce qu’il a volé… »

— « Il t’a dit cela ?… » s’écria Julie, « mais ce