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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/265

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

pouvoir vous supplier aussi de ne pas interpréter ce que je vais vous dire, de ne pas chercher, même en esprit, les motifs de la démarche extraordinaire que je fais auprès de vous… Je suis venu, » et sa voix s’étouffait de honte, « vous emprunter de l’argent… »

— « Que vous êtes ému, mon pauvre enfant, » dit le père de Brigitte, « et pour si peu de chose !… Ne me parlez pas. Les mots vous font mal… Écrivez sur ce papier ce que vous désirez. » Il avait tendu une feuille et un crayon à Jean qui, d’une main tremblante d’émotion, traça les quatre chiffres que son frère avait jetés d’une plume si ferme sur le chèque Montboron. L’autre prit le papier et dit simplement : « C’est bien. » Il sortit de la bibliothèque pour y revenir un instant après, tenant à la main une enveloppe. « Voilà ce qu’il vous faut, » ajouta-t-il aussi simplement. « Vous calculerez vous-même les intérêts à 5 pour 100, et vous les donnerez aux pauvres. Vous me rendrez cela quand vous pourrez. Je vous demande seulement de vous redire tous les jours, jusqu’à ce que vous ayiez acquitté cette dette, la phrase que je mets là, » et il écrivit lui-même quelques mots sur l’enveloppe. « Ne me remerciez pas. Et allez vite porter cet argent où vous devez le porter… »

Le jeune homme prit l’enveloppe que lui tendait cet admirable manieur d’âmes, dont la phrase d’adieu attestait qu’il déchiffrait la conscience de son élève aussi clairement qu’un livre ouvert devant lui. Quelque chose d’inexprimable passa entre eux,