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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/277

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

une heure plus tôt ? Où avait-elle eu l’esprit ? Sans aucun doute, il avait pris le second train. S’il ne lui avait envoyé aucun mot pour l’avertir définitivement de ce petit voyage, c’est que la visite d’Antoine avait eu lieu pendant ses derniers préparatifs. Peut-être, au moment de lui écrire, le dégoût l’avait-il paralysé. Comment savoir si le scélérat n’avait pas raconté qu’il venait de sa part à elle ?… Toutes ces suppositions s’étaient levées à la fois dans son esprit et la remplissaient d’une émotion telle qu’elle en oubliait la présence de son autre frère, debout devant elle. Sa consternation était trop éloquente : évidemment, elle avait sur les agissements d’Antoine une idée positive. La pauvre enfant ne revint à elle que pour constater son imprudence, à cette interrogation de Jean :

— « Si tu sais chez qui il est allé emprunter ces cinq mille francs, il faut me le dire, Julie. Je les ai là. Je peux les rendre, et tout de suite… »

— « Moi ? » répondit-elle, « comment le saurais-je ?… » Dans la phrase qu’avait prononcée son frère, elle venait de sentir, une fois de plus, ce soupçon sur ses rapports avec Rumesnil, deviné si souvent dans ses yeux. Le lui nommer à cette minute, c’était avouer. Si elle n’eût pas eu cette coupable intrigue, en quoi un prêt d’argent du jeune noble à Antoine eût-il été plus extraordinaire que de Crémieu-Dax à Jean, par exemple ? Et elle-même l’avait conseillé tout à l’heure. Ce conseil, rapproché de son trouble présent, la condam-