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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/289

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

naires et il n’avait pas pris plus garde aux phrases agressives de sa femme que s’il eût été stupéfié de hachich. Le jeune Gaspard avait ricané, à voir son frère aîné « attrapé par la patronne ». — C’était son vocabulaire. — Julie n’était pas dans le salon, ayant passé dans sa chambre aussitôt le déjeuner fini. Chose étrange, l’injustice de sa mère, au lieu de peiner le jeune homme, ainsi qu’à l’ordinaire, lui procurait un certain apaisement. Les profondes inintelligences de Mme Monneron justifiaient, en l’expliquant, l’aveuglement de son mari à l’égard de leurs enfants. Elle ne l’avait jamais aidé à comprendre leur famille, et, en le faisant souffrir par sa vulgarité, sans qu’il se l’avouât, elle avait encore développé son aversion naturelle pour les réalités humbles de la vie, pour ce qu’il appelait « le monde extérieur », avec le mépris d’un lettré qui s’enivre de théories. Raison de plus pour le fils de ne pas récriminer et de se substituer au père dans les circonstances critiques. Que celle-ci en fût une, et décisive, Jean s’en était convaincu davantage encore à constater, durant le déjeuner, l’attitude, de nouveau si hostile, de Julie à son endroit. Les questions dont il l’avait pressée, à son retour du bureau d’Antoine, l’avaient trop visiblement énervée. Pourquoi, sinon parce qu’il avait deviné juste sur un point qu’il ne pouvait plus laisser obscur ? Aussi n’eut-il pas une seule reprise d’hésitation, lui, l’homme de tous les scrupules et de toutes les susceptibilités, et il ne s’était pas levé de table depuis une demi--