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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/288

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L’ÉTAPE

une telle fièvre qu’il lui arriva, pendant le déjeuner, à plusieurs reprises, de ne pas même entendre les phrases que lui disaient son père et sa mère, involontaire distraction qui lui valut de Mme Monneron, quand on se leva de table, une de ces apostrophes désagréables par lesquelles elle avait si souvent froissé le cœur de ce fils dont la nature lui déplaisait tant ! Elle y rencontrait sans cesse des nuances d’humeur indéfinissables pour son esprit simpliste de Méridionale :

— « Quand tu te marieras, je te souhaite de tomber sur une femme qui ait bon caractère, mon pauvre garçon Tu deviens un peu plus rustre tous les jours… On te parle, tu ne réponds pas. On te sert, tu ne dis pas merci. Pourquoi ne prends-tu pas exemple sur Antoine, qui se rend agréable à tout le monde ?… Tu t’en crois trop, et tu ne veux pas te donner de peine ! Je ne sais vraiment pas de qui tu tiens. Ton père est aussi instruit que toi, et pourtant il cause ! C’est plaisir de l’entendre… Ton grand-père Granier, ah ! qu’il était gaillard !… Toi, tu ressembles aux oursins de chez nous, pointus par tous les bouts. Ce n’est que piquants. On ne sait comment les prendre… »

— « C’est ainsi qu’elle voit les choses !… » se disait Jean quelques minutes plus tard en descendant l’escalier. Le professeur était plongé dans ses journaux, que ses soucis d’abord, avant la lettre de M. Berthier, puis sa répétition, l’avaient empêché de finir le matin. Il y buvait à longs traits le poison quotidien des sophismes révolution-