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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/291

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

le matin, peut-être le soir, je ne sais pas… » Cet homme était un vieux domestique, depuis des années au service de la douairière. Il connaissait le camarade de son maître pour l’avoir vu venir à l’hôtel, tout jeunet, en tunique de collégien. Aussi ajouta-t-il naturellement quelques détails à ce renseignement sommaire : « Il est parti à neuf heures et demie… »

— « Mon frère n’est donc pas venu ce matin ? Il ne l’a pas vu ? » osa demander Jean.

— « Mais si, il l’a vu, » répondit le concierge. Monsieur le comte était déjà sur son phaéton quand M. Monneron est arrivé. Il est remonté chez lui pour le recevoir. C’est même à cause de cela qu’il a du changer son train… »

Le doute n’était plus permis. C’était bien à Rumesnil qu’Antoine était venu demander les cinq raille francs. Cette visite à cette heure ne s’expliquait pas autrement. Il les avait demandés et il les avait obtenus. Entre cette présence rue de Varenne, à neuf heures, et la rentrée à son bureau vers les dix heures, où il avait versé la somme, aucune autre démarche n’avait pu matériellement se placer. Voilà donc l’action dont la menace avait jeté Julie dans l’état où Jean l’avait vue et qu’elle avait qualifiée d’infamie, de crime ? Pourquoi ?… Le jeune homme n’était plus dans une disposition d’esprit a retourner ce problème et à se ronger de doutes, en silence, comme il faisait depuis tant de semaines. Il héla une voiture, et, moins d’un quart d’heure après avoir recueilli ce