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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/30

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L’ETAPE

à partager les idées du professeur. C’était aussi ce goût profond et cette entente des choses de l’intelligence qui l’avaient intéressée à Jean. Quoique son instinct de femme lui fit éviter soigneusement tout air de savante, et qu’elle eût même, par réaction, un rien de coquetterie dans sa toilette, sa physionomie trahissait cet excès, cette anomalie plutôt, de culture. L’expression du visage était plus âgée que les traits. Avec des lignes d’une régularité presque classique, elle était moins jolie que belle. Un je ne sais quoi de trop grave flottait autour de sa bouche, pourtant si jeune, et dans le regard de ses prunelles pourtant si bleues. Elle était assez grande, avec une tête plutôt petite, de forme ovale, que couronnaient d’admirables cheveux blonds. Son teint très clair, presque transparent, pâlissait et rougissait à la moindre émotion, d’une manière qui révélait, chez cette enfant, précocement initiée aux plus abstruses théories de la psychologie et de la métaphysique, la plus vive, la plus spontanée sensibilité. Ces deux côtés de sa nature, trop réfléchie et trop émotive tout ensemble, se retrouvaient dans l’entretien qu’elle avait avec son père, ce matin-là, et qui avait commencé dès le seuil de la maison de sa sœur aînée. À peine avaient-ils pris congé de celle-ci, laissée jusqu’ici absolument en dehors de leurs projets, Brigitte avait demandé :

— « Vous devez être content de moi, mon père ?… » Comme on le voit, le traditionnaliste