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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/303

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

avec Julie, ce n’avait été pour le jeune homme qu’une suite d’accidents plus effrayants et plus subits les uns que les autres… Et rien ! Les heures avaient passé, et, quand il se retrouva rue Claude-Bernard, au terme de cet après-midi, à la table du dîner, puis à celle de la veillée, il aurait pu croire que ces scènes n’avaient été qu’un rêve : — un rêve, sa rupture avec celle qu’il aimait ; — un rêve, les frénétiques et sottes discussions de la déplorable Union Tolstoï et la rage dénonciatrice du cousin pauvre ; — un rêve, le retour à la maison paternelle et la sinistre explication avec Antoine ; — un rêve, l’impudent aveu de celui-ci ; — un rêve, la supplication de Julie ce matin, et sa propre démarche auprès du père de Brigitte ; — un rêve enfin, ses deux visites finales au bureau du boulevard Saint-Germain et à l’hôtel de la rue de Varenne, si grosses de dangers prochains

La famille était réunie, tout entière, comme il arrivait bien rarement. Mais c’était jour de vacances, et on se tenait dans le salon, après le repas pris provincialement à six heures et demie. L’aspect paisible de cette pièce s’accordait si peu avec les violentes péripéties de ces deux jours qu’il en était invraisemblable. Rien de plus logique, cependant. Les Monneron, en passant, comme ils avaient fait, d’une classe dans une autre, sans initiation ménagée, sans station intermédiaire, avaient gardé de leur origine paysanne cette caractéristique : ils étaient profondément, absolument naturels. C’est cette simplicité de manières qui donne