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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/309

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

de la décadence où s’abîme depuis cent ans notre pays serait inintelligible, si l’on ne se rendait pas compte d’un trait trop peu étudié de la psychologie du jacobin. On a beau vouloir « recommencer la société humaine, comme Bacon disait qu'il faut recommencer l'entendement humain » (c’est la formule d’un d’entre eux, du triste Chamfort, de ce courtisan de tant d’esprit que la Révolution a hébété et déshonoré avant de le tuer), on n’échappe pas à ses hérédités. On les subit, quoi qu’on en ait, par toutes les fibres dont on est tissé : on peut seulement les fausser. Le sentiment religieux est du nombre. Le Monneron — s’il est permis de faire de ce nom propre le nom générique de toute une classe — est un chrétien dévoyé qui a reporté sur des idées abstraites et inexactes les dévotions de ses atavismes. Ces idées, il ne les a pas comme on a des opinions. Il les a comme on a un culte. De là dérive la sévérité indignée de son jugement à l’égard des dissidents. Le Monneron, — il s’est montré le même au coup d’État, au Seize-Mai, lors du mouvement plébiscitaire suscité par Boulanger, et plus récemment dans les circonstances que l’on sait, — le Monneron, donc, ne se contente pas de combattre ses adversaires. Il les considère comme des êtres de conscience inférieure. Il ne lui suffit pas de les écraser, par n’importe quel moyen et avec une absence de scrupules stupéfiante chez lui, car le Monneron complet est d’autre part délicat. Il les méprise, ces adversaires, et le plus sincèrement du monde, comme de