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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/319

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

Solon, vous autres Grecs, vous serez toujours des enfants, et il n’y a pas un Grec digne du beau nom de vieillard. » — Et Solon demanda : « Que veux-tu dire ? » — « Que vous êtes très jeunes quant à vos âmes, » répondit le prêtre. « Vous n’y possédez aucune vieille doctrine, transmise par les aïeux, aucun enseignement donné de siècle en siècle par des têtes blanchies… » De telles lignes faisaient que Jean laissait le gros volume. Il appuyait sa tête sur sa main, et il sentait à nouveau la féconde portée des idées du conservateur de la rue de Tournon, d’une part conformes aux immuables affirmations des sages de tous les temps par leur conformité même aux lois fondamentales de la nature humaine, — et de l’autre la destructive erreur des idées du novateur de la rue Claude-Bernard. Et puis, c’est l’illusion d’optique où retombent toujours les hommes de pensée, les faits actuels où il était engagé comme acteur perdaient leur réalité présente. Il négligeait de vérifier s’ils demeuraient bien en l’état où il les avait constatés. Dans l’intervalle de ses séances d’étude, il ne regardait plus Julie, par exemple, avec cette énergie d’observation qu’il lui avait appliquée ces derniers temps. Il ne se rendait pas compte qu’elle aussi attendait ce mardi où Rumesnil devait rentrer, avec une fièvre qui lui mettait une flamme aux yeux, une lueur rose aux joues, une brûlure au front et aux mains. Elle était la maîtresse qui va savoir si son amant l’aime d’un