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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/324

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L’ÉTAPE

de son état. Sa taille allait s’alourdir, les symptômes se multiplier. Ils n’échapperaient pas à l’œil de sa mère. Dans sa naïveté pour tout ce qui touchait aux réalités sociales, elle apercevait, comme une issue possible à cette situation, un mariage immédiat, un voyage et un accouchement loin de Paris qui permît la légère confusion de dates nécessaire à son honneur. Dans ces conditions, chaque jour perdu risquait d’être un danger. Tout se réunissait donc pour la pousser à une explication avec son amant, mais entière, sans réticences et qui fût définitive, — tout, et son cœur aussi. Julie en avait assez et trop, d’une incertitude où son être intérieur s’usait fibre à fibre, — assez et trop, de tendre sur des livres de classe une intelligence affolée d’obsédants soucis, — assez et trop, de mentir !… Avec cette espèce de fatalisme, naturel aux volontés les plus fermes, à plus forte raison aux sensibilités troublées, quand elles sont assaillies par une marée de conjonctures ingouvernables, elle avait vu dans les soupçons grandissants de son frère Jean une indication du sort. Les événements qui s’étaient produits coup sur coup le jeudi et le vendredi avaient achevé de lui donner cette sensation de Sa Destinée l’appelant, lui commandant d’agir, — et elle avait agi. Durant cette soirée du vendredi, au moment même où Antoine se réhabilitait auprès de son père en lui citant du Jacques Richard, où M. et Mme Monneron s’attendrissaient au souvenir de leur idylle de Nice,