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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/328

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L’ÉTAPE

là tout droit, de la gare, afin de ne voir personne ; qu’il croyait deviner la cause de son inquiétude, mais qu’elle ne se tourmentât point, que s’il y avait quelque démarche à faire qui fût en son pouvoir, il la ferait… »

— « Il croit qu’il s’agit toujours d’Antoine… » s’était-elle dit, et elle avait eu le cœur serré. Était-ce pour ce motif qu’il n’était pas revenu, malgré le caractère suppliant de la dépêche ? Appréhendait-il un second emprunt ? Cette hypothèse était cruelle, moins pourtant que la terreur de ce qu’elle rencontrerait dans ces yeux clairs, quand elle aurait énoncé la phrase après laquelle son avenir serait décidé : « Je suis enceinte. » Elle s’efforçait, tout en cheminant, de se représenter le visage de son amant, tandis qu’il écouterait ces mots. Elle n’arrivait pas à se figurer ses traits. Son imagination, tournée depuis son enfance, et par la culture qu’elle avait reçue, vers le monde des idées abstraites, n’avait pas ce pouvoir d’évocation visuelle qui dessine des contours aussi précis que la réalité dans la chambre obscure du cerveau. C’étaient toujours ces prunelles, si froides par instants, à d’autres si douces, qui brillaient devant sa pensée, tandis qu’elle allait, allait, par le Luxembourg d’abord, puis par le lacis des rues qui mènent au boulevard du Montparnasse, par ce boulevard ensuite, et par celui des invalides… Il faisait un de ces temps clairs et tièdes qui donnent une grâce d’avril à certains jours de l’automne parisien, et qui contrastent