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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/329

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE (suite)

avec d’autres jours prématurément glacés, comme celui où Jean avait attendu Brigitte Ferrand. Il flotte alors dans l’air transparent un peu de « cette gloire incertaine du printemps », dont parle un vers délicieux de Shakespeare. Ce charme est surtout perceptible dans les quartiers comme ces abords du faubourg Saint-Germain, où se rencontrent encore des hôtels entourés de jardins. Les yeux de Julie regardaient, sans presque voir, les verdures touchées d’or, qui frémissaient doucement dans la lumière, entre les barreaux des grilles, ou par-dessus les murs. La douceur de l’heure lui arrivait malgré elle et augmentait sa mélancolie. Les anciennes questions sur le passé de son amant lui revenaient à la pensée, plus torturantes. Oui, quelles avaient été « ces autres » qui, comme elle, s’était dirigées, en se cachant, vers cette maison, dont la face, pour elle plus inoubliable que celle d’une personne, lui apparaîtrait bientôt ? Malgré sa faute, le monde des amours coupables lui demeurait quelque chose de si indéterminé, de si confus ! Elle se croyait, dans sa naïveté persistante et aussi dans sa vanité enfantine, l’héroïne d’une histoire romanesquement exceptionnelle ! Si, comme elle ne pouvait s’empêcher de le croire, Adhémar avait eu dans sa vie une ou plusieurs liaisons, avant elle, certes ces caprices n’avaient rien eu d’analogue avec son sentiment. C’étaient ou des femmes mariées ou des aventurières, et qui ne lui avaient pas apporté, comme elle, la fleur sacrée de leur premier amour. Pourtant,