Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
324
L’ÉTAPE

« Tu les cesseras ?… Mais je ne veux pas, moi, que tu les cesses. Trouve un autre moyen, je t’en conjure, pour qu’il te rende sa confiance. Mais pas celui-là. Je te vois déjà si peu ! Perdre encore ces occasions-la de te parler, de t’entendre, de te sentir vivant et à moi ?… Non, je ne l’accepterai pas ! Et, toi non plus, tu n’accepteras pas de ne plus venir quand tu auras entendu l’autre nouvelle… » Et, d’une voix profonde, les mains dans les mains de son amant, les yeux dans ses yeux, elle ajouta : « Je suis enceinte. »

La parole terrible était proférée, et ses prunelles sombres cherchaient toujours dans les prunelles claires de Rumesnil cette expression qui devait donner à son pauvre cœur, si remué, si saignant, l’évidence de l’amour. Un éclair aigu y avait passé qui la perça jusqu’au plus intime de sa chair, tant il était pénétrant et froid. C’était la mise en défense de l’homme qui s’est soudain senti en danger devant la ruse de la femme et qui se reprend. Il y eut une minute d’horrible silence, à la suite de laquelle l’amant demanda :

— « Tu te crois vraiment enceinte ? »

— « Oui, » répondit-elle simplement et tristement. Que sa détresse était grande à cet instant, de ne rencontrer que cette dure et sèche interrogation, et pas un élan, pas une pitié ! Il l’avait de nouveau enveloppée de ce pénétrant regard. Il vit qu’elle était sincère, aussi distinctement qu’il voyait tout près de lui, dans le demi-jour de cette pièce aux volets clos, ses traits amaigris, sa joue un peu