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L’ÉTAPE

le nom de son père, sans que je sois ta femme, ta vraie femme ?… »

— « Si j’étais seul au monde et libre de mes actions, tu la serais déjà… » dit le jeune homme. Il y avait bien des jours qu’il attendait cette demande et qu’il avait calculé la réponse. Cette frémissante imploration de la jeune fille était si humble, elle révélait une si poignante nostalgie du bonheur avoué, elle revendiquait un droit si légitime, qu’elle alla pourtant ébranler une corde secrète dans cette nature deux fois égoïste de vaniteux et de débauché, et ce ne fut pas sans un remords qu’il continua : « Tu sais que ma mère n’a que moi. Je ne veux pas me marier contre sa volonté… J’ai déjà tant essayé de la préparer !… Mais elle a ses préjugés. Laisse-moi le temps. Je te le répète : fie-toi à moi… »

Il parlait, et elle l’écoutait en le contemplant presque avec extase, tant sa présence l’hypnotisait de nouveau, à ce point qu’elle lui était reconnaissante de ces efforts qu’il prétendait avoir faits auprès de sa mère, comme elle l’eût été d’une promesse positive ! Jamais Rumesnil n’avait senti davantage la déloyauté de ses rapports d’âme à âme avec cette fille qu’il avait séduite, un peu par fantaisie, un peu par désœuvrement, un peu par perversion, un peu par amour-propre, et beaucoup par légèreté… Fut-ce pour endormir cette révolte de sa conscience, ou bien pour empêcher cet entretien de s’avancer plus avant sur un chemin trop dangereux ? Y avait-il dans la grâce meurtrie de