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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/340

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L’ÉTAPE

le seuil : « Tu ne m’en veux pas ? » demanda-t-elle à Rumesnil, et, le serrant de nouveau contre elle comme à l’arrivée : « Comme je suis à toi ! Tellement à toi que j’en ai peur ! »

— « Je le verrai bien, si tu es vraiment à moi… » répondit-il avec une expression assez particulière pour que sa maîtresse, inquiétée soudain, le questionnât :

— « Que veux-tu dire ? »

— « Je pense à ce dont nous avons parlé tout à l’heure, à tes craintes de devenir mère. »

— « Ce ne sont pas des craintes, » répondit-elle.

— « Il faut que ce soient des craintes, » reprit-il, « ou plutôt c’est vrai, » et une mauvaise lueur passa dans ses yeux, tandis qu’il prononçait, qu’il chuchotait presque ces mots équivoques : « Tu dis bien, il faut que ce ne soient pas des craintes… Tu ne dois pas être mère. Tu m’as promis de te fier à moi. Je vais m’enquérir de quelqu’un de très sûr, chez qui je puisse te conduire le plus tôt possible. Ne t’inquiète de rien ! Ne t’occupe de rien ! C’est moi qui suis responsable de toutes les difficultés où tu pourrais être, comme aussi de ce qu’il faudra faire pour n’y pas rester. Je t’en tirerai, si tu veux agir seulement comme je te dirai. Mais adieu… »

Julie n’avait rien répondu, tant l’affreuse insinuation, qu’elle ne pouvait pas ne pas comprendre, maintenant, la glaçait jusqu’au fond du cœur. Quand elle se retrouva dans la rue, elle regarda autour d’elle, comme si elle reprenait la conscience du monde extérieur, au sortir d’un sommeil de