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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/346

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L’ÉTAPE

donner à la suggestion du corrupteur, c’était se sauver peut-être aux regards du monde, et se perdre davantage pour un autre regard. Que l’appel d’en haut et celui d’en bas étaient perceptibles autour de cette âme ! Quelle plus forte preuve qu’il y a un Esprit du bien et un Esprit du mal, un choix entre eux, un péché et un rachat ? Cette impression qui confine à la Foi complète, — toute la religion ne tient-elle pas dans le problème du salut ? — Jean l’aurait ressentie de nouveau. Il l’eût communiquée à sa sœur malheureuse, et elle eût envisagé sa détresse sous un jour différent. Hélas ! cette sœur et ce frère n’étaient pas pour rien les enfants d’un père égaré, qui, sous prétexte de rationaliser sa vie, avait systématiquement détruit autour des siens tout ce qui fait atmosphère et lumière. Ils s’étaient également habitués à se replier sur eux-mêmes, à ne chercher de point d’appui que dans leurs propres idées et leur propre expérience. Jean n’avait jamais parlé à Julie de son christianisme grandissant. Il avait été seul dans ses efforts pour atteindre ou repousser la vérité religieuse. Julie ne devait rien lui communiquer de ses efforts pour écouter ou chasser les pensées soulevées en elle par ce : « Fie-toi à moi, » murmuré par Rumesnil. Ses instincts d’honneur s’étaient aussitôt révoltés là contre ; puis, ce premier sursaut de sa conscience une fois passé, les funestes paroles allaient poursuivre dans sa volonté leur secret travail. Elle allait entrer en tentation, et seule !