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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/347

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ET NE NOS INDUCAS

L’épreuve commença dès ce banc du boulevard des Invalides sur lequel la jeune fille s’était laissée tomber en jetant ce cri : « Qui me sauvera de lui ? » où tremblait déjà l’hésitation d’un cœur incertain de sa force. Dans cette véritable fièvre de la conscience qu’est une grande tentation, le doute sur soi-même est le premier stade de l’envahissement. Avoir peur de commettre une faute, c’est déjà reconnaître qu’elle n’est pas impossible. L’homme absolument probe ne craint pas d’être entraîné à voler. Entre lui et l’acte, il y a l’infranchissable. La terreur de Julie Monneron à la seule idée de ce que venait de lui proposer Rumesnil était déjà une défaillance de sa moralité. Se sentir faible, c’est l’être. Elle resta là un bien long temps, presque une heure entière, à subir, en se débattant, cet hypnotisme que l’amant exerce, même à distance, sur une maîtresse de la chair de laquelle il s’est emparé par l’énergie de son désir. Quoiqu’elle eût eu, durant la scène de la rue d’Estrées, cet après-midi, le courage de se dérober aux caresses du jeune homme, elle n’en portait pas moins dans les veines ce poison de la volupté partagée, qui faisait d’elle, à travers et malgré toutes les résistances, la chose du séducteur. Quand il reprendrait cet entretien, car elle ne pouvait pas douter qu’il ne le reprît, se sentirait-elle aussi désarmée qu’à présent où l’idée de cette visite chez l’opérateur clandestin lui faisait pourtant horreur ? « Je refuserai, » se disait-elle, « je veux refuser… » Mais, si elle avait été vraiment sûre de sa fermeté.