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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/348

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L’ÉTAPE

aurait-elle eu dès ce moment cette angoisse de ne pas pouvoir vouloir qu’elle connaissait trop bien ? Elle l’avait éprouvée si souvent, à l’époque de leurs premiers rendez-vous, quand elle se jurait à elle-même de ne pas permettre qu’Adhémar lui serrât la main, qu’il l’embrassât, qu’il lui parlât d’une certaine manière. Chaque fois, sa volonté avait cédé. Céderait-elle maintenant encore ? « Non, » se répétait-elle, et, comme si la seule pensée de Rumesnil atteignait en elle et paralysait ce centre vital où l’organisme s’appuie pour réagir, ses bras et ses jambes se brisaient, le cœur lui manquait par avance à la simple hypothèse de cette lutte… Cette étrange sensation, presque animale, d’un joug appesanti sur sa personnalité lui fut à une minute si insupportable, physiquement, qu’elle se leva d’un bond, comme mue par un ressort, pour la secouer, et elle se mit à marcher, vite, vite, dans la direction de la maison paternelle, par cet interminable boulevard du Montparnasse, et par le non moins interminable boulevard du Port-Royal. Elle s’efforçait de chasser, avec cette rapidité de mouvement, l’obsession dont elle était déjà la victime, et voici que les phrases si obscures, si vagues, du corrupteur se précisaient, malgré elle, en images plus définies contre lesquelles son être se rebellait toujours. Elle n’arrivait cependant pas à les chasser. C’est le second stade de la tentation, celui où l’âme s’apprivoise à l’acte qu’elle a toujours le ferme propos de ne pas commettre, en se le repré-