Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
ET NE NOS INDUCAS

plus en plus profond, et les pensées de la jeune fille avaient continué de la dévorer… C’était surtout l’accueil fait par son amant à l’aveu de son état qui la navrait à présent. Par une contradiction où se révélait la dualité de sa nature, faussée, elle aussi, dans son intelligence, restée très droite dans sa sensibilité, elle souffrait, après s’être démontré, brutalement, qu’elle pouvait sans remords obéir aux criminelles suggestions de son amant, oui, elle souffrait jusqu’aux larmes, maintenant, qu’il lui eût donné un tel conseil. Elle souffrait qu’il n’eût pas eu un mouvement de joie à l’idée d’avoir un enfant d’elle. Il lui semblait que, s’il l’eût aimée, — l’éternel refrain de sa plainte solitaire, — il eût aimé cet espoir d’une chair issue de leur chair, d’une existence greffée sur leur existence. Elle se demandait si le motif qu’il avait allégué, pour ne pas lui donner son nom, dès aujourd’hui, n’était pas un mensonge. Il avait parlé de l’avenir, prié qu’elle lui laissât du temps, affirmé qu’il pensait à cette union, seul moyen de lui rendre l’honneur ? Insensée, elle l’avait cru ! Mais, conduit-on une maîtresse, dont on veut faire sa femme, dans une maison d’avortement ? L’expose-t-on au scandale d’une ignoble enquête judiciaire, si quelque hasard fait découvrir le crime ? Avilit-on, — elle donnait raison de nouveau à l’instinct de sa première révolte, — avilit-on celle à qui l’on réserve une place respectée à son foyer, que l’on rêve d’introduire dans sa famille ? Insensée ! Insensée ! Qui