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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/358

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L’ÉTAPE

manière, et de nouveau le doute, dont elle avait tant souffert, sur la sincérité de ses sentiments, l’envahissait, profond, spontané, irrésistible… De quel ton léger Rumesnil avait accueilli ses questions sur Antoine ! Comme il était visible que cette démarche du voleur ne lui avait pas produit le même effet qu’à elle ! Eût-il eu cette indifférence pour l’honneur intime de quelqu’un qui touchait de si près Julie, si son caprice pour elle eût ressemblé à l’intérêt passionné qu’elle prêtait aux moindres choses qui le concernaient ?… Comme il avait aisément parlé de cesser ses visites rue Claude-Bernard, dès l’instant qu’elles portaient ombrage à Jean ! En revanche, comme, à la simple idée que cet ami nourrissait des soupçons à son endroit, il s’était montré irritable et sensible ! Ce contraste, qui avait déjà froissé la jeune fille, au moment même, lui était cruel à se rappeler dans cette nuit d’insomnie… Car, à travers les allées et venues de ses pensées, le temps s’écoulait, et, successivement, elle avait entendu s’apaiser les bruits de l’appartement, chacun se retirer, les portes se refermer. Un pas, qu’elle avait reconnu pour celui de son père, s’était arrêté devant sa chambre. L’excellent homme, chez qui les pires aberrations de l’esprit s’accompagnaient d’une si vraie tendresse, avait appelé son enfant, tout bas, pour lui demander de ses nouvelles, si elle ne dormait point, et ne pas la réveiller, si elle dormait. Julie était demeurée immobile et comme sourde. Le pas s’était éloigné… Le silence s’était établi, de