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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/361

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ET NE NOS INDUCAS

à son insu. Elle se retrouva, à son réveil, suspendue à une seule pensée : celle de savoir si Rumesnil ne l’aimait absolument pas, — dominée par un seul instinct : celui de sa maternité déjà commençante. Elle était donc revenue, — par quel circuit et combien douloureux ! — juste au point où elle était la veille, quand elle s’acheminait vers le rez-de-chaussée de la maison de la rue d’Estrées. Il y avait pourtant deux différences : d’abord elle avait été tentée, c’est-à-dire qu’elle avait pu mesurer l’abîme de sa propre faiblesse, comprendre de quelles aberrations elle était capable, et de même que, malgré ses paradoxes anarchistes, elle s’était retrouvée petite bourgeoise française pour détester tout service d’argent reçu de son amant, ses hérédités honnêtes la faisaient frémir de terreur au souvenir des idées qu’elle avait, par instants, admises comme possibles, cette nuit. L’autre différence c’est qu’elle avait parlé à Rumesnil de l’enfant qu’elle portait dans son sein. Le jeune homme avait dû réfléchir, lui aussi, depuis ces vingt-quatre heures, sur cette confidence. Maintenant que Julie s’était reprise, il lui paraissait impossible qu’elle eût saisi exactement la portée des paroles qu’il lui avait dites, dans leur adieu de la veille. Si pourtant elle s’était trompée sur leur signification ? S’il avait voulu exprimer seulement un doute sur son état et la nécessité de consulter un spécialiste ? Si ce : « Fie-toi à moi ! » qu’elle avait aussitôt interprété dans un sens terrible, avait eu