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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/362

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L’ÉTAPE

pour unique but de la rassurer, de la décider à cette visite au médecin, trop pénible dans des conditions pareilles ?… C’était nier l’évidence que de traduire de la sorte des phrases effroyablement claires. Julie était si épuisée de s’être heurtée à des réalités si dures qu’elle se retrouva la fille de l’illusionniste Joseph Monneron dans cette soudaine complaisance à se bercer d’un doute qui lui donnait une chance de ne pas désespérer. Elle en avait si peu, de ces chances-là, — et elle savait si bien qu’elle en avait si peu !…

Quel moyen imaginer cependant pour la découvrir d’une façon indiscutable, cette vérité sur les sentiments de Rumesnil, quand la présence de ce redoutable amant, elle l’avait éprouvé une fois de plus la veille, suffisait à défaire ses résolutions les plus arrêtées ? La jeune fille se posait cette question, au sortir des longues angoisses de cette pénible nuit, assise à la table du premier déjeuner. Elle y avait apporté un volume, qu’elle feuilletait pour se donner une contenance, tout en prenant son café. C’était l’observation de son frère cadet qu’elle appréhendait, pour le cas où sa mère, dans la conversation de la veille au soir, aurait mentionné son absence de l’après-midi et sa rentrée tardive. Mais Jean, absorbé lui-même par la perspective du rendez-vous fixé à Rumesnil, ne prenait pas garde à elle, et cette attitude de Julie n’eut pour résultat que de lui attirer une remarque désobligeante de cette mère ;