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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/374

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L’ÉTAPE

du succès qui la soulevait tout entière, — les difficultés présentes se résoudraient. En admettant qu’il eût eu, vraiment, à la première révélation de sa grossesse, le sinistre projet, contre lequel elle s’était débattue en pensée tout l’après-midi de la veille et toute la nuit, c’avait été par terreur des dangers qui la menaçaient. S’il n’y avait pas déjà renoncé, il y renoncerait aussitôt qu’elle lui aurait parlé. Un plan se dessinait devant l’esprit exalté de la jeune fille, auquel elle s’étonnait de n’avoir pas pensé plus tôt : partir pour l’étranger sous prétexte de préparer, au lieu de l’École de Sèvres, un professorat de langues vivantes ; entrer dans une pension au pair, comme avaient fait tant de ses amies ; en sortir après quelques mois, soi-disant pour donner des leçons ; et accoucher au loin, avec le père de son enfant auprès d’elle… Ce voyage lui serait si facile, à lui !… Telle était la démence des imaginations auxquelles se livrait maintenant la fille séduite. Après les sursauts trop intenses de ces derniers jours, et en particulier de ces vingt-quatre heures, ses nerfs épuisés subissaient une usure momentanée qui annulait sa force de résistance. L’approche de l’épreuve que représentait pour elle cette rencontre décisive entre son frère et son amant lui donnait une excitation de fièvre, semblable à une griserie. Pour quelques instants, qui devaient être bien courts, tous les raisonnements, toutes les observations qu’elle avait pu faire étaient oubliés. C’est le phénomène étrange dont sont si souvent vic-