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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/375

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ET NE NOS INDUCAS

times les personnes qui soignent un être très cher et atteint d’une maladie qui ne guérira pas. Elles le savent. Elles ont consulté vingt médecins, qui se sont trouvés impuissants devant le mal. D’en consulter un nouveau, dont ont leur a parlé, les enivre soudain d’expectative. On paie bien cher ces accès d’espérance morbide, véritables intoxications produites par le surmenage émotif et qui trahissent un déséquilibre total, une incapacité pour l’esprit de se mettre soi-même à un cran d’arrêt. Aussi cette intempérance de l’attente est-elle un très inquiétant pronostic. Elle sert de prodrome le plus souvent à des crises inverses, à cette frénésie du découragement désespéré, dont la subite invasion a déterminé tant d’actes impulsifs et irréparables. Julie Monneron allait en être la preuve et la victime.

Elle devait, ce matin-là, — pathétique contraste entre son existence intime et son existence officielle, entre sa condition encore enfantine et son cœur déjà si meurtri ! — se rendre à la Sorbonne, à neuf heures et demie, pour y suivre une conférence qui faisait partie de sa préparation à Sèvres. Son père, pris lui-même à Louis-le-Grand vers les dix heures, chaque mercredi, par une répétition, avait l’habitude de l’accompagner. C’était une des rares circonstances où le professeur, très occupé, pût causer avec sa fille, ce qui signifiait, pour ce chimérique, monologuer auprès d’elle sans rien soupçonner du drame qui se jouait sous ce front