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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/388

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L’ÉTAPE

berie de celui qu’elle avait tant aimé, qu’elle aimait encore tant ! Ce fut seulement après avoir proféré ces phrases, impossibles à effacer jamais, qu’elle commença d’en réaliser la portée. Jean s’était laissé tomber sur une chaise en l’écoutant. L’atroce révélation de la faute de Julie et de la perfidie de son ami le frappait d’un coup si douloureux que toute sa pensée en était comme confondue. La sœur et le frère restèrent ainsi, deux minutes peut-être, sans pouvoir ni l’un ni l’autre articuler une parole. Puis, tout d’un coup, les larmes jaillirent des yeux du jeune homme. Un flot de pitié lui débordait du cœur, devant toutes les misères de sa vie de famille, comme incarnées, comme ramassées dans cette misère suprême de la fille séduite et délaissée, et, attirant à lui l’infortunée, il la pressa sur sa poitrine en gémissant :

— «  Ah ! ma pauvre, pauvre Julie ! Et je n’ai rien prévu, rien deviné, rien empêché ! Et je ne t’ai pas défendue ! Et je n’ai pas su te comprendre, te faire parler !… T’insulter ?… Moi, t’insulter ?… Moi, te chasser ?… Mais j’étais ton frère, ton aîné ! C’était à moi de te protéger, de te garder !… Et il a osé cette infamie, lui, mon compagnon de jeunesse, et cela ne l’a pas arrêté de te sentir si seule au monde, un si pauvre être, et si charmant, si délicat, si désarmé !… »

— « C’est donc vrai ? » répondait-elle en se serrant, en se tapissant contre son frère. « Tu ne m’abandonnes pas ? Tu ne me maudis pas ? Tu ne