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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/395

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LA CATASTROPHE

exécutions personnelles, définies si expressivement, par l’Allemagne du moyen âge, le Faustrecht, — le droit du poing. Hélas ! Le fils du professeur, avec ses membres appauvris par l’existence sédentaire, ses épaules aiguës, sa physiologie toute en nerfs, son absence de muscles, semblait bien chétif pour appliquer, au vigoureux et souple Rumesnil, cette justice expéditive. Il n’avait jamais touché un pistolet ni une épée, au lieu que le jeune comte avait été mis sur la planche, le fleuret en main, dès ses dix ans, et conduit chez Gastinne, à seize, par des camarades de son monde. Dans la voiture qui l’emportait vers l’hôtel seigneurial de la rue de Varenne, Jean se rendait compte, même à cette minute, de cette infériorité vis-à-vis de l’ami félon qu’il se préparait à affronter. Il avait trop réfléchi aux conditions profondes de son origine, pour ne pas comprendre qu’encore ici, et dans cette circonstance où l’honneur de la famille reposait sur lui, les erreurs des fondateurs de cette famille le poursuivaient. Cette chétiveté physique en était une conséquence. Chez ces ruraux, mal alimentés depuis des générations, l’effort cérébral avait été tout de suite trop intense, l’énergie animale trop abandonnée, les lois de l’action méconnues dans l’ordre physique autant que dans l’ordre moral. N’importe. Ramassé tout entier sur lui-même dans ce coin de fiacre, le petit plébéien n’avait pas peur. Il se sentait l’égal du noble par le mépris qu’il avait de sa propre vie, et tellement son supé-