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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/399

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LA CATASTROPHE

patience de cette rencontre si passionnément désirée. À sept heures seulement et devant la réponse du concierge que Rumesnil dînait dehors, l’évidence s était imposée que, malgré cet orgueil sur lequel il avait compté, son perfide camarade l’évitait de parti pris. Il avait deviné juste : Maradan avait apporté rue de Varenne une lettre de Julie, avertissant son amant, et celui-ci cherchait à tout le moins à gagner du temps. « C’est ma faute, » se disait le frère irrité, après ce dernier échec : « j’aurais dû suivre mon idée et attendre sur le trottoir. C’était de l’espionnage. Pourquoi pas ? Contre un homme ignoble, tout est permis… Demain, je serai là, devant sa porte, et je n’en bougerai qu’après l’avoir vu… À moins que, par bravade, il ne vienne rue du Faubourg-Saint-Jacques, ce soir. C’est possible qu’il ait voulu éviter un tête-à-tête, avec l’idée qu’en public, je reculerai, que je n’oserai pas l’outrager. Il verra bien… »

Tel était le ton d’énergie sauvage auquel cette vaine poursuite de celui qu’il considérait maintenant comme son plus mortel ennemi avait monté le jeune homme. Les conférences de l’Union Tolstoï avaient lieu vers les neuf heures, il avait encore deux fois soixante minutes à tuer, avant de savoir si vraiment la journée passerait sans qu’il eût jeté à la face du suborneur les paroles vengeresses dont la colère grondait en lui. Il recommença de marcher à travers les rues fébri-