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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/402

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L’ÉTAPE

rieur, le cœur battant ! Un coup d’œil lui suffit pour constater que celui qu’il cherchait n’était pas dans la longue salle étroite. En revanche, Salomon Crémieu-Dax se trouvait à sa table habituelle. Il achevait de dîner en face d’un prêtre, qui n’était autre que l’abbé Chanut. Ce dernier était un homme de quarante ans, de mine chétive, et sur le masque duquel était empreinte, en ce moment, la naïveté un peu gauche de l’ecclésiastique dépaysé. Ses joues creusées et ses yeux profonds disaient l’ascétisme et les secrètes vertus d’une belle âme sacerdotale, à laquelle manquait pourtant la sérénité dans la foi, cet admirable trait de la physionomie de M. Ferrand. Mais chez M. Ferrand, chez le disciple du sage et lumineux Le Play, les certitudes religieuses se doublaient des fortes certitudes traditionnalistes. L’abbé Chanut, lui, était — et il reste, hélas ! — la victime de la dangereuse erreur où tombent aujourd’hui tant de prêtres excellents, qui parlent couramment de réconcilier le Catholicisme, la Science et la Démocratie, comme si les deux derniers termes étaient d’un côté, le premier de l’autre. Tout au contraire, ce sont les deux premiers termes qui sont d’un côté, et c’est le dernier qui est de l’autre. Le Catholicisme n’a pas à être réconcilié avec la Science, à laquelle il n’a jamais été opposé, pour la simple raison que, n’ayant pas le même objet, il n’évolue pas sur le même plan. Mais l’irréconciliabilité semble absolue entre la Science et la Démocratie, telle que la France la