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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/412

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L’ÉTAPE

il s’était levé, car le repas était fini, et il se signa pour dire ses grâces. Les deux jeunes gens se levèrent aussi, sans rien répondre. Il y a dans l’Église un tel trésor de séculaire expérience que ses représentants arrivent toujours à la vérité morale, fût-ce à travers d’extravagantes erreurs politiques. L’abbé Chanut venait d’exprimer en quelques mots le point de divergence qui séparait à jamais les deux anciens amis : l’un avait compris — à travers quelles épreuves ! — que le problème de la vie humaine est uniquement le problème de la famille. Lorsqu’on pense ainsi, on est tout près des antiques doctrines : la famille a pour tendance de supprimer le viager. Elle veut durer à travers le temps. Il lui faut donc les majorats, ou la liberté de tester, et alors l’autorité du père de famille la conserve. Elle exige un droit reconnu des morts sur une part de l’activité des vivants. Ce droit du passé doit avoir un représentant héréditaire, d’où la nécessité d’une famille royale et de la monarchie. L’autre, Crémieu-Dax, ne voyait dans le monde qu’un drame mystique, évoluant à travers ces accidents, tous insignifiants, qui sont les familles, les nations, les races. Une telle philosophie amène l’homme à reconnaître un droit absolu à la conscience individuelle, et le terme fatal en est l’anarchie. Il y avait pourtant un terrain où ces deux adversaires (ils l’avaient toujours été, même quand ils fraternisaient dans des utopies communes) se devaient de s’entendre. Oui, ils se devaient une réciproque estime pour leur bonne foi, ce que le