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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/415

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LA CATASTROPHE

l’escalier. Deux sergents de ville étaient sous la voûte, qui dévisageaient les arrivants :

— « C’est moi qui les ai fait mettre là… » dit Crémieu-Dax tout bas à ses compagnons, et, comme pour répondre d’avance à la vivante objection que représentaient ces deux agents de la force publique préposés par ses propres soins à la garde d’une œuvre d’individualisme effréné : « c’est le procédé que la nature emploie dans ses évolutions, » ajouta-t-il ; « les anciens organes protègent les nouveaux, pendant que ceux-ci sont en train de se former… C’est le tissu graisseux de la chenille qui nourrit la chrysalide, c’est-à-dire le papillon en voie de devenir… »

L’abbé Chanut approuva de la tête, impressionné, comme le sont si aisément les prêtres de son école, par cette phraséologie de type scientifique où excellent certains démagogues d’aujourd’hui, et qui révèle la moins exacte des dispositions de l’esprit, la plus contraire à la méthode d’observation directe : l’habitude du raisonnement par analogie. Les trois hommes s’étaient engagés dans l’escalier. Ils commençaient de fendre le flot d’étudiants et d’ouvriers qui emplissaient les marches, attendant leur tour. Crémieu-Dax, pour s’ouvrir le passage, montrait trois cartes bleues, qu’il tenait en l’air. Un des articles de son minutieux règlement portait que, dans les jours de grandes assemblées, ces cartes attribuées aux personnes qui devaient prendre place sur l’estrade leur assureraient le droit d’entrer avant les assis-