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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/414

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L’ÉTAPE

vis-à-vis de moi-même et des autres. J’ai trop vu où cela mène. Je veux vivre dans la vérité, » répliqua Jean.

— « Alors, tu penses vraiment ce que tu as dit ? » insista Crémieu-Dax.

— « Absolument… » répondit le frère de Julie. Puis, voyant sur la physionomie de ce camarade de sa jeunesse une expression d’un si sincère chagrin, une comparaison le fit ressouvenir d’un autre camarade, du Judas qu’il allait peut-être rencontrer dans cinq minutes ; et il eut, pour le fidèle ami dont il était si loin par l’esprit, si près par le cœur, le même mouvement que cet ami avait eu pour lui à la même place, ce jeudi dernier. Il lui prit la main et la lui serra sans rien lui dire. Des larmes roulaient dans ses yeux. Ce silence et cette émotion en disaient trop pour que l’autre ne comprît pas qu’il ne devait plus insister, sous peine de faire saigner un cœur trop malade. De quelle plaie ? Il croyait le savoir. Qu’il est juste, le mélancolique proverbe : « Mal d’autrui n’est que songe ! » Réalise-t-on jamais toute la souffrance de ceux à qui l’on est le plus dévoué ? Même avec le fanatisme de ses convictions, et quoiqu’il attachât à la séance de ce soir une importance extraordinaire, si Crémieu-Dax eût deviné de quel dernier coup son compagnon avait été frappé dans la journée, il n’aurait sans doute pas eu la force de vaquer, comme il fit aussitôt, à la surveillance de son Union. Un nombre déjà considérable de personnes se pressaient sous le porche et dans