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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/420

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L’ÉTAPE

dateurs de l’Union, pour démocratiser encore leurs séances, avaient décidé que les orateurs et les membres du Comité siégeraient seuls sur cette étroite tribune, à peine exhaussée de quatre marches. La table, chargée d’une carafe d’eau, d’un verre et d’une sonnette, attendait le conférencier et le président. Ces commissaires n’eurent pas plus tôt aperçu Crémieu-Dax qu’ils se précipitèrent au-devant de lui, comme vers leur chef naturel, et une phrase revenait dans toutes leurs plaintes :

— « C’est un coup monté ! »

— « Nous le démonterons… Voilà tout, » répondit le jeune homme. « Pourvu que M. l’abbé ne se laisse pas décourager par ces sauvages… »

— « C’est parce qu’ils sont des sauvages que je suis ici, » dit le prêtre…

— « Je viens d’employer un mot qui n’est pas juste, » rectifia aussitôt Crémieu-Dax. « Il m’a échappé, parce que j’ai des nerfs, comme tout le monde. Je voulais dire : ces égarés. Car on les égare, et je sais qui. Mais que ferait-on sans le peuple ? Il porte en lui tous les extrêmes. C’est son danger, et c’est sa grandeur… » Puis, s’adressant à un des commissaires : « Tous les membres du bureau sont là ?… » Et, sur cette réponse : — « Il ne manque plus que Rumesnil… » — « C’est dommage, » fit-il, en tirant sa montre. « Nous n’avons plus que cinq minutes, et, avec un public difficile, il importe de commencer exactement… Enfin, s’il n’est pas là, tant pis !… »