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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/434

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L’ÉTAPE

hommes un secret lien spirituel. Au lendemain de cet entretien, le médecin lui avait fait tenir, en confirmation de la thèse par lui soutenue, une petite brochure parue à cette date sur la vie d’un de ses confrères, le docteur Clermont. Ce nom d’un des élèves inconnus du grand Potain mérite d’être sauvé de l’oubli, non seulement parce que ce fut celui d’un Juste dans toute la force de ce beau mot, mais aussi parce que cet humble savant a composé sur son lit de mort une méditation, imprimée dans cette brochure et qui contient une des lignes les plus fières qu’ait tracées jamais une main humaine : Où descendrions-nous sans la noble douleur ?… Admirable phrase et que Jean s’était répétée bien souvent, depuis qu’elle lui était tombée sous les yeux, avec une émotion de lettré d’abord et uniquement, sans se douter que l’intime ami de celui qui l’avait écrite serait mêlé à l’heure la plus cruelle de sa jeunesse. Il ne se rappela pas distinctement ce détail quand le vieux concierge de Rumesnil lui eut mentionné la présence de M. Graux dans la voiture ; mais le souvenir de ce médecin était associé pour lui à des pensées si élevées qu’il ressentit un soulagement à savoir qu’il aurait affaire à lui et non à un autre, dans une aventure dont il ne connaissait encore que le tragique résultat, et peut-être pas tout entier !… Mais, il eût été attendu en bas par un inconnu, par un ennemi, qu’il n’eût pas mis moins de précipitation à s’élancer par le petit couloir, tête nue, fendant le flot des brail-