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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/437

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LE PÊRE ET LE FILS

coupé descendait le boulevard Montparnasse. Il prenait le boulevard des Invalides, le chemin même que la pauvre Julie avait suivi, quand elle rentrait rue Claude-Bernard, il n’y avait pas beaucoup plus de vingt-quatre heures. Jean ignorait ce détail qui eût encore ajouté à sa mélancolie ; mais il devinait trop où le conduisait le docteur Graux, et que le suicide de sa sœur avait eu pour théâtre un appartement de rendez-vous. La physionomie du médecin, gaie et vaillante d’ordinaire, était toute sombre à cette minute. Son visage, où des yeux bruns brillaient sur un teint pâle de Méridional, encadré de cheveux jadis très noirs, aujourd’hui tout blancs, avait dû se pencher sur bien des misères, depuis plus de trente ans qu’il était entré pour la première fois dans un hôpital. Son dévouement professionnel l’avait fait le confident de bien des fautes. Cette misère-ci était trop exceptionnelle, et cette faute, commise par quelqu’un qu’il avait vu grandir et soigné tout petit garçon, trop révoltante. En vain cherchait-il des mots pour soulager la souffrance dont devait être déchiré le jeune homme assis à son côté. Il l’avait à peine entrevu depuis leur dernière conversation, celle qu’avait suivie l’envoi de la biographie d’Abel Clermont ; mais à l’époque, il avait interrogé Rumesnil. Celui-ci avait fait un éloge enthousiaste de son ami, en ajoutant, avec sa raillerie habituelle : « J’espère que vous ne le verrez pas trop souvent, vous essaieriez de le rendre dévot. Il ne penche que trop de ce côté--